Prépare-toi, mon esprit,
sois vigilant, implore et prie
Plus d’automne doré, des nappes de brouillard et des nuages de pluie déterminent le temps, ce qui, d’une certaine façon, se reflète aussi en nous. La cantate de Bach « Prépare-toi, mon esprit, sois vigilant, implore et prie » (BWV 115), représentée pendant le culte de l’avant-dernier dimanche de l’année liturgique par le conservatoire parisien CNSDMP, suscita en nous les sentiments, les états d’esprit les plus divers – des moments de tranquillité, de douceur, où l’on se sent en sécurité, mais avec ensuite une transition vers des phases remplies d’angoisse, des sentiments d’insécurité, d’un réveil brutal ; des sons douloureux, émouvants, rien de la joie éclatante de l’Oratorio de Noël.
Il est étonnant de constater que notre époque a beaucoup de choses en commun avec celle de Bach, il y a 300 ans. Elle nous montre à quel point notre monde occidental progressiste a du mal à faire face à toutes ces crises et à en tirer des leçons, au lieu de retourner encore et encore aux anciennes positions et de regretter les « bons vieux temps ».
Dans cette cantate, il s’agit de nous, de notre être, de notre avenir, non seulement ici et maintenant, mais également du temps après la mort. Il s’agit du contraste entre la générosité divine – il nous pardonne nos offenses, à nous les hommes – et de l’impitoyabilité humaine – l’homme a du mal à en faire de même, à imiter Dieu.
Derrière tout cela menace cependant le jugement, le plus souvent inattendu, qu’à un moment donné, Dieu exigera des comptes et infligera éventuellement une sanction. De là, l’intense « Prépare-toi, mon esprit », qui est fermement lié à « sois vigilant, prie », car Dieu peut, à tout moment et sans préavis, évoquer, rappeler le passé – d’un côté le doux sommeil, l’oubli total, de l’autre, la peur du Dieu éventuellement punisseur. Et la cantate évolue dans ce champ de tension.
Il est instamment demandé de prier et de veiller, il n’y a pas de report possible, le message concernant la préparation urgente à la mort et au jugement est transmis sans ambiguité. Une vie quotidienne somnolente n’est plus possible car elle est interrompue par l’appel « Dis, toi, l’âme endormie, comment ? Tu dors encore ? ».
Mais la menace est alors atténuée car maintenant, il est question d’un Dieu miséricordieux, un Dieu qui déteste es punitions entraînées par les péchés.
Nous aussi, nous pouvons y contribuer quelque chose en nous protégeant de la séduction, en ayant les « yeux ouverts de l’esprit », en étant vigilants. Ici, cela sonne comme un soupir insistant. « Implore et prie » qu’il nous pardonne, nous libère des péchés. À cet endroit, Bach comprend la prière comme l’expression élémentaire de l’humanité authentique. Implorer et prier, c’est la bonne voie vers la miséricorde de Dieu et une nouvelle énergie, force. Si nous crions sincèrement, donc en toute honnêteté, vers Dieu, il sera à notre écoute, avec « sa gracieuse oreille ». Derrière se cache non pas de la sévérité, mais de la douceur, du pardon – pardonner à l’autre comme Dieu pardonne.
Le cœur et l’esprit jouent un rôle dans bon nombre de cantates de Bach. Les deux sont le siège de l’essence humaine. Pour Bach, le cœur est le siège de la foi, des sentiments et le siège de Dieu. En lui, se déroulent la repentance, la conversion, la foi et l’amour. Avec le cœur, Bach désigne aussi l’attitude intérieure de l’homme à l’égard de Dieu, ce cœur devant être ouvert, capable d’autocritique, de changement et d’acceptation de l’amour divin. L’esprit humain est, pour Bach, l’intelligence, la raison – le discernement et aussi la conscience. Le cœur et l’esprit représentent notre attitude, l’action de Dieu en nous et l’interaction entre Dieu et nous.
Lors du leitmotiv « soyez vigilants » il ne s’agit pas tant de vigilance que de la lucidité de notre esprit, de notre présence d’esprit. Il s’agit de l’agilité intellectuelle, du sens critique, du fait d’être prêt à faire des concessions, d’apprendre des choses et de l’ouverture d’esprit. Être vigilant, cela veut dire être en pleine possession de toutes ses facultés mentales. De la vigilance fait partie l’attention – non seulement voir ce qui se passe autour de nous mais voir aussi ce qui manque à notre prochain.
Prier, oui, mais pourquoi ?– En priant, un échange, une interaction entre Dieu et moi a lieu. Des questions, des éloges, des sollicitations et des plaintes ont leur place ici. La prière n’est pas une voie à sens unique, c’est un va-et-vient, un échange. Elle ne doit pas nécessairement revêtir des formes fixes et solennelles, mais peut plutôt s’écouler tranquillement comme une conversation. Et qu’en est-il de la réponse de Dieu ?– Parfois, il me faut juste bien tendre l’oreille afin de comprendre, je dois pouvoir me taire, m’écouter, déchiffrer la parole de Dieu.
C’est en particulier la période de l’Avent qui approche qui nous donne l’occasion de nous écouter, de nous préparer calmement à la fête de Noël avec son appel à la paix sur terre et de nous réjouir de la lumière qui revient encore et toujours, lumière dont nous sommes les enfants. L’étoile du matin de la période de l’Epiphanie qui vient ensuite nous exhorte à prendre le temps nécessaire pour tou. Rien n’est définitif mais toujours en devenir. Dans ce contexte, Luther dit : « La vie n’est pas une question d’être pieux, mais de devenir pieux, non pas une santé, mais un devenir sain, non pas un état, mais un devenir. […] Ce que la prière a en elle de force, de plénitude et d’efficacité, nous ne pouvons le souligner jamais assez, je crains. Car aussi simple et évident que cela puisse paraître, c’est aussi profond, riche et large. »
Pas de peur ni de craintes, mais de la confiance, pas de découragement, mais de la joie, pas de précipitation mais du calme et de la sérénité dans la Nouvelle Année – c’est que vous souhaite, aussi au nom de l’ensemble du Conseil presbytéral,