ICI & AILLEURS - Le pasteur Hans-Helmut Peters et son « Service pour la paix de demain ou encore après-demain » - Première Partie
J’aime bien feuilleter la « Chronique de la paroisse », éditée en 1994 à l’occasion du 100ème anniversaire de la Christuskirche par le pasteur de l’époque, Wilhelm von der Recke. Il y a quelques passages tellement passionnants qu’ils auraient pu provenir de la plume de John le Carré, dans l’un de ses romans d’espionnage, en particulier le chapitre « La Paroisse à l’époque de l’Occupation allemande – août 1940 à août 1944 ». De quelle façon se présente « l’Église en tant que partie des forces d’occupation à l’étranger » ?(Chronique de la paroisse → Chr., p. 181) « Comment le pasteur s’est-il comporté dans cette situation ? Quels furent ses mobiles ? Qu’est-ce qui lui restait comme champ d’action ? » (Chr., p. 181) – Depuis juillet 1940, le francophile Hans-Helmut Peters qui, lors de son ‹ proposanat › en 1930/31, avait déjà fait la connaissance de Paris et qui, dans les années trente, avait été actif comme prédicant ambulant à Nice, officia comme pasteur.
Une lettre de l’Ambassade allemande datant de l’été 1940 montre que, « en premier lieu, Peters s’est rendu à Paris en tant que chargé par les institutions de l’État et que son activité comme pasteur de paroisse doit être considérée comme un camouflage de sa véritable tâche : pousser les protestants français à coopérer avec les Allemands. » (Chr., p. 184) La SS, elle aussi, était d’accord avec la nomination du pasteur Peters. Au cours des années suivantes, les activités pastorales de Peters seront appréciées d’un peu partout parce qu’il agit, pour ainsi dire, « entre les lignes » et ce, de façon très humaine. Dans la situation précaire de la période d’occupation allemande, il ne montra aucun penchant idéologique pour des doctrines et convictions nationales-socialistes. Pour lui, la rencontre d’homme à homme est au centre, « avec des hommes très différents : avec le résistant français, avec le membre de la SS, avec l’ouvrier et avec le général. » (Chr., p. 186) En septembre 1941, Peters fut nommé « pasteur de garnison à titre accessoire » pour les soldats allemands. De même, il se rendit, en plus de son travail comme pasteur rue Blanche, à la prison militaire de Fresnes afin d’assister des prisonniers civils protestants français, mais aussi d’autres incarcérés. On sait peu de choses sur cette activité parce que, « de par sa nature, elle se passait en semi-public, et que Peters n’a rien laissé de ses documents de travail. » (Chr., p. 187) La Chronique note que l’activité en tant qu’aumônier de prison « a dû être la tâche la plus difficile à effectuer, tâche pour laquelle le pasteur avait le plus besoin de force. Pour lui, elle était la plus importante. » (Chr., p. 194) La tâche de l’accompagnement spirituel des prisonniers civils protestants français lui fut confiée par le général Hans Speidel, anciennement conseiller de légation à l’Ambassade d’Allemagne. « Dans la prison de Fresnes furent incarcérés de nombreux résistants français qui avaient été arrêtés par la police allemande. Ce fut une maison d’arrêt réservée aux détenus provisoires, donc une station transitoire où l’on attendait le jugement. Une cour militaire décida du sort : exécution ou peine de prison ou déportation. » (Chr., p. 194) Comme son collègue catholique de l’époque, l’Abbé Stock, Peters accompagnait les condamnés à mort au Mont Valérien lors de l’exécution et assistait les familles. Dans la Chronique, une femme témoin de l’époque nous apprend ceci de l’activité de Peters : « Le pasteur Peters était connu partout. Il n’était pas résistant, il a fait, en tant que pasteur, tout ce qu’il avait à faire, consciencieusement. Il a rendu visite à des prisonniers français. Eh bien ! il a fait beaucoup plus que ce qu’il avait le droit de faire. Mais on le laissait tranquille parce que c’était lui. (…) Parfois, Peters a dit qu’il aurait toujours pu être arrêté parce qu’il ‹ était limite ›. D’un point de vue pastoral, il faisait ce qu’il y avait à faire, et naturellement, il a aidé beaucoup de personnes qu’il n’aurait pas eu besoin de connaître. » (Chr., p. 195) Dans ses mémoires, Peters rapporte que, « lors des visites dans les cellules, [il] constata que les prisonniers éprouvaient une grande envie d’avoir des nouvelles de leurs familles. Je savais très bien qu’un contact avec les familles ne devait pas être établi par mes soins. (…) Mais, de l’autre côté, il était clair pour moi que cela pourrait être un moyen de faire la paix et que les membres de la famille ressentiraient un soulagement psychique énorme s’ils savaient qu’ici, ‹ nous pouvons parler avec une personne qui a rendu visite à nos incarcérés. › C’est l’origine des heures de rendez-vous/consultations, le mercredi après-midi, auxquelles se présentaient entre 30 et 40 personnes, à certains moments. En secret, je me suis reproché encore et encore que, ‹ parmi eux, il y a un espion de la Gestapo qui est venu uniquement pour dire à la fin, Ce que vous faites est illégal et nous devons vous arrêter. › Pendant tout mon temps à Paris, je me suis toujours attendu à être arrêté ; parce que, en prison aussi, il s’est passé des choses à la limite, et vraisemblablement aussi en dehors, de la légalité. (…) Mais je me suis toujours consolé en disant : si Dieu veut que ce service, que je considérais comme service pour une paix de demain ou après-demain, – si Dieu veut que ce service prenne fin, alors ainsi soit-il ; et s’il me tient dans le creux de Sa main, je veux continuer à servir les hommes, aussi bien que possible. » (Chr., p. 196)
Pour son activité à Fresnes, Peters a obtenu de la reconnaissance, également de la part du Conseil national de la Fédération Protestante. Peters ne fut sans doute pas un résistant ; il ne manifeste pas une attitude ouvertement critique à l’égard du Troisième Reich. Il a compris son travail comme « un service pour la paix de demain ou encore après-demain ». Pour lui, fut important « l’aide humaine en tant que pont entre des nations en guerre vers un accord de paix ultérieur, comme une sorte de capital afin d’arriver de nouveau à une relation de confiance. Montrer aux Français que les Allemands ne font pas tous du mal à leurs semblables, aux autres ; que le fait d’être humain existe par-delà toutes les différences qui nous séparent. » En cela, Peters resta fidèle à son attitude des années trente où il savait parler aussi bien au membre de la SS qu’au représentant de l’Eglise confessante (Bekennende Kirche). » (Chr., p. 201)
Concernant le chapitre « La Paroisse à l’époque de l’Occupation allemande », la remarque suivante se trouve dans la Chronique : « Tout ce chapitre doit être lu sous réserve ; il reflète l’état des connaissances au printemps 1994. Les sources sur lesquelles le texte est basé sont incomplètes. » (Chr., p. 181) Depuis, une nouvelle source est apparue, source dans laquelle un témoin d’époque parle de son contact avec le pasteur Peters, à la prison de Fresnes. À lire dans la prochaine Newsletter : « Comment le pasteur Peters sauve la vie d’un prisonnier célèbre ».
Pasteur Hartmut Keitel