DU TEMPS !
POUR QUOI FAIRE ?
« Enfin », disent les uns, « Oh ! Que c’est dommage », disent les autres. Et vous, vers quel groupe vous sentez-vous attiré•e, cher lecteur, chère lectrice de cette Newsletter ? Pardon, je vais un peu trop vite. « Enfin », à quoi cela fait-il référence, et c’est quoi qui est « dommage » ?
Cette année aussi, j’ai du mal à dire entièrement au revoir à cette période de Noël qui, lorsque vous lisez ce texte, est en train de fondre comme la dernière neige. 40 jours après Noël a lieu la fête de la Présentation du Seigneur au Temple, aussi connue sous le nom de « Chandeleur ». Le 2 février, le crèches disparaissent définitivement, et les derniers sapins qui perdent leurs aiguilles sont mis à la déchetterie.
La magie, le silence et la tranquillité de la période de Noël qui nous a fait oublier toutes nos peurs existentielles actuelles et nos démêlés avec un Dieu que nous ressentons comme inactif font maintenant partie du passé. Enfin c’est la fin de la stagnation, disent les uns ; dommage qu’il n’y ait plus de véritable place pour cette convivialité, pensent les autres. À quel groupe vous rattachez-vous, à celui des impatient•e•s qui sont content•e•s de pouvoir enfin être actifs, actives de nouveau, et de pouvoir échapper à la léthargie qui leur a presque été imposée, ou à celui de celles, ceux qui aimeraient garder ce calme et cet état de contemplation ?
Comment en sommes-nous arrivé•e•s à cette obsession par le temps ? Le temps, c’est de l’argent ; ne jamais être inactif, inactive est devenu la règle d’or. Un dicton de sagesse africaine l’explique ainsi : « Vous avez la montre, nous avons le temps. » Sans doute existe-t-il une causalité entre le fait de mesurer le temps et ce mal de notre époque : toujours plus vite dans la circulation, dans la communication, dans la vie professionnelle et dans l’agriculture.
Cette rapidité, voire, cette précipitation empêche le regard sur notre entourage, nous rend insensibles et nuit à l’imagination et à la réflexion. Elle est autoritaire, agressive, frénétique, superficielle, impatiente, énervante et privilégie la quantité par rapport à la qualité.
Carl Honoré, auteur du livre « Éloge de la lenteur », constate qu’un mouvement de plus en plus important s’oppose au dictat du faire-vite. Dans ce contexte, cela vaut la peine de (re)lire le roman « Momo » de Michael Ende, où les messieurs gris essaient de nous faire économiser notre temps. Comme si cela avait un sens de vouloir économiser du temps ! Écouter, tout faire étape par étape, voilà les devises de Momo.
Dans « Faust » aussi, il s’agit finalement du thème de la rapidité ; Faust maudit la patience, il veut tout et tout de suite. Goethe dit de son siècle qu’il est « vélocifère ». Cette formation à partir de « velocitas » (rapidité) et de « Lucifer » contient toute la matière de « Faust », toute la problématique de notre existence humaine.
Peter Handke désigne la lenteur et la circonspection comme ses principes de vie et d’écriture. Selon lui, la créativité a besoin de ralentissements, de faire des pauses ; c’est ainsi que l’imagination serait libérée. Dans une interview sur l’idée qu’il se fait de la mort, Jean d’Ormesson dit : « Il faut prendre le temps de réfléchir, il faut prendre le temps de la lenteur. Il faut faire l’éloge de la lenteur. » (Man muss sich Zeit zum Nachdenken nehmen, man muss sich Zeit für die Langsamkeit nehmen. Man muss das Lob der Langsamkeit singen.)
Et qu’en dit la Bible ? Dès la première page, l’action de Dieu paraît lente et réfléchie. La création du monde ainsi qu’elle est décrite dans la Genèse est planifiée avec soin. Et quand les êtres humains, au jardin d’Eden, ne reconnaissent pas les limites que Dieu a posées, alors la punition de Dieu ne survient pas en un éclair ; il se met à la recherche et pose trois questions : « Où es-tu ? », « Qui a dit cela ? », « Qu’est-ce que tu as fait là ? ». Ce n’est pas comme cela que sonne un jugement fracassant. Lorsque Caïn assomme son frère Abel, presque les mêmes paroles résonnent. Dieu me semble être plutôt comme un jardinier prudent, réfléchi qui sait que tout prend son temps. Il n’est pas comme cet agronome moderne qui essaie d’accélérer tout ce procédé de croissance par des manipulations.
Jésus, lui aussi, prend son temps, par exemple après tous ces miracles ; il se retire, il a besoin de périodes de calme et sans doute aussi de moments de communion avec son père. Il a besoin de ce calme pour puiser des forces afin de continuer d’accomplir les projets de Dieu. Ce faisant, il sait que son succès ne dépend pas de gesticulations agitées mais prend pour devise ce qui est écrit dans le psaume 31 : « Et à cause de ton nom tu me conduiras, tu me dirigeras … Je remets mon esprit entre tes mains », ce qui veut dire : « Mon temps est entre tes mains. »
Des phases de lenteur sont nécessaires si certaines choses ne sont pas claires au premier coup d’œil. Il y a un temps pour tout – c’est ce que nous lisons dans le livre de l’Ecclésiaste : « Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux : un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté. »
La lenteur fait partie de la nature de Dieu ; nous devrions en être conscient•e•s quand, par exemple, nous nous querellons avec Dieu parce que rien ne se passe. Des phases de lenteur sont nécessaires. François de Sales a établi une règle que nous pourrions nous approprier en ce début d’année : « Réserve une demi-heure chaque jour à la prière, sauf lorsque tu as beaucoup à faire. Dans ce cas prends une heure. »
Et nous en revenons à l’angoisse existentielle mentionnée plus haut et à la question sur le comportement difficilement compréhensible de Dieu. Ce qui peut soulager ces sentiments qui oscillent constamment entre peur et confiance, cela pourrait être la prière. Elle permet de prendre de la distance par rapport aux problèmes. Dans la prière, nous pouvons nous ouvrir aux autres. Et cette ouverture implique souvent le fait que nos propres problèmes deviennent soudain tout petits, insignifiants. Prier pour les autres, pour soi – il y a un temps pour tout. Il y a la prière dans laquelle je me concentre entièrement sur ma propre personne, et l’intercession, la prière dans laquelle je me tourne vers les autres, dans laquelle je partage leurs joies et leurs soucis.
Ma prière prend souvent la forme d’une conversation, il se développe quelque chose comme un agréable bavardage avec un cher ami intime ; la prière est ouverte, sans protection, pétille tranquillement … il ne faut juste pas qu’elle se transforme en caquetage ou en balbutiement. Selon l’opinion de Luther, la prière qui résume tout est le « Notre Père ». Et dans cette prière, il ne s’agit plus du MOI mais seulement du NOUS. Il n’est pas dit « donne-moi mon pain quotidien » mais « donne-nous notre pain quotidien ». Je ne suis pas seul•e, je fais partie d’une communauté avec laquelle je souffre, suis en deuil et me réjouis.
Nous pouvons partir du principe que Dieu entend nos prières ; s’il les écoute, c’est une autre question, car il n’est pas un automate qui exauce toutes les demandes. Mais les chemins d’une prière peuvent parfois surprendre et agir d’une manière tout à fait particulière. Qui ne se réjouit pas quand il sait qu’on l’inclut dans sa prière ? Cela peut être d’un grand secours pour la personne concernée et l’encourager.
Ce dialogue avec Dieu commence rarement de façon impétueuse ; c’est souvent prudemment, de façon hésitante, en s’approchant à tâtons que celui qui prie commence, la voix incertaine. L’amen final n’est pas nécessairement une conclusion mais peut correspondre à la décision soudaine d’en finir. C’est le « jusqu’ici et pas plus loin » de la personne qui parle et qui s’arrête parce que, sinon, sa conversation se diluerait en bavardage et étoufferait la communication. Amen, oui, c’est ainsi, jusqu’ici ! La prière ne ressemble-t-elle pas à une source qui jaillit, donnant de nouvelles forces et rendant libre et joyeux, apportant une nouvelle vie et de l’espoir ? N’est-elle pas constamment en voie de devenir ? Dans ce contexte, Luther dit
La vie n’est pas être pieux mais devenir pieux,
Non pas une santé, mais retrouver la santé,
Non pas l’état d’être mais celui de devenir
… et un peu plus loin :
Ce que la prière a comme force, plénitude et efficacité,
Nous ne pouvons pas, je crains, le souligner assez.
Car aussi simple qu’elle puisse sembler,
Aussi profonde, riche et étendue est la prière.
Pas d’angoisse mais de la confiance, pas de manque de courage mais de la joie, pas de hâte mais de la tranquillité et de la sérénité dans la nouvelle année, c’est ce que vous souhaite, avec l’ensemble du Conseil presbytéral,