Savoir – Douter – Croire
Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie,…(1 Corinthiens 13:9).– Or la foi est une ferme assurance des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas. (Hébreux 11:1)
Maintenant qu’en Allemagne aussi, les dernières règles Covid ont été abrogées, le débat autour du bien-fondé de ces mesures reprend de plus belle. Qui avait raison, qui avait tort. Et c’est là que l’on oublie de nouveau qu’à l’époque, les scientifiques se référaient à l’état actuel des connaissances sans jamais les présenter comme définitives et universelles. En cas de nouvelles découvertes scientifiques, les mesures furent adaptées. Il ne fut pas question de connaissance, « cognition » définitive. Notre savoir est parcellaire, dit l’apôtre Paul. Et si nous parlons aujourd’hui de consensus scientifique, il n’y a là pas de concordance, mais plutôt une opinion partagée par un certain groupe. Dans le domaine scientifique, il ne peut s’agir que de victoire ou de défaite. Dans les sciences empiriques, il n’y a pas de consensus dans le sens d’un compromis. Dans la plupart des cas, on devrait alors parler d’un consensus d’experts. Et notre savoir demeure encore et toujours parcellaire.
Soyons donc réalistes et parlons du scepticisme scientifique. Le scepticisme ne fait-il pas partie du principe des sciences ? Socrate déjà met en garde contre l’hybris et appelle à l’humilité avec sa phrase sans doute la plus connue sur l’horizon du savoir : « Je sais que je ne sais rien. » Et les pensées du siècle des Lumières, selon lesquelles les sciences s'acheminent vers des vérités absolues, ont été remplacées par la prise de conscience que la vérité absolue n'est pas importante en ce qui concerne les connaissances et le développement ultérieur.
Le monde est plus complexe et change, je dois me faire une nouvelle idée et accepter que des incertitudes, des doutes et des conflits demeurent. Les doutes sont justifiés à cause des progrès dans les sciences. La globalisation, la digitalisation rendent les choses de moins en moins transparentes pour l’individu.
Notre monde, de plus en plus interconnecté, devient de plus en plus complexe. Maintenant, les portables nous donnent accès à un savoir presque illimité, sauf qu’il règne une confusion digitale dans laquelle je m’interroge sur le vrai savoir, les messages manipulés et les fake news. Les informations sont surveillées, contrôlées par des algorythmes que presque personne ne comprend, et même les États ne sont plus à l’abri de tentatives de manipulations. Nous ne sommes pas en manque de connaissances, mais nos incertitudes demeurent, les réponses définitives nous font défaut, notre ignorance pose un problème qui trouve son expression dans un sentiment d’insécurité et de doute.
Notre vie spirituelle, elle non plus, n’est pas épargnée par des doutes similaires.
Parfois, ils peuvent ressembler à une bénédiction, la mise en question nous préservant de la stagnation et capable de nous faire avancer. Mais le plus souvent, des doutes planent au-dessus de nous comme une malédiction. Au cours du Carême et du temps pascal en particulier, il y a pourtant des moments qui font émerger des questions.
Nous trouvons une préfiguration du doute dans l’enseignement d’Augustin d’Hippone qui dit : « Si je me trompe ou si je suis trompé, je suis », ce qui mène vraisemblablement au doute méthodique chez Descartes et ce qui culmine dans la thèse « Cogito, ergo sum. » Chez Kierkegaard, cela donne ceci : « De omnibus dubitandum est » – il faut douter de tout. Hegel et Rousseau ne sont pas des amis des miracles, du surnaturel ; on se défausse de tout ce qui est contraire à la raison. Mais ils ne sont pas les premiers à douter de ce qui est transmis dans la Bible.
Depuis que Dieu a créé l’homme, le doute a sa place dans ce monde – déjà au paradis, cette parole séduisante : « Dieu ne devrait-il pas …? » Le peuple d’Israël, lui aussi, doutait de la promesse de Dieu qu’il le sauverait. Contre combien de doutes Job a-t-il dû se battre ? Même Jésus désespéra presque, au jardin de Gethsémané.
Le doute était aussi présent, en tant que parrain, au berceau des premières communautés chrétiennes. Même les disciples du Christ n’en furent pas épargnés. Mais là, à côté du doute, règnent aussi la peur, la terreur, l’incrédulité, l’hésitation et le détachement. Dans l’histoire de Pâques, il est décrit de façon tout à fait réaliste comment les disciples réunis à Jérusalem doutent, même en présence de Jésus (Luc 24:36-45). Cependant Luc montre à quel point le doute est ancré dans l’être humain. Jésus avait rencontré ses disciples sur la route de Damas, et ils l’avaient reconnu. Lors de leur retour à Jérusalem, la foi en sa résurrection s’était déjà envolée et la peur les avait saisis de nouveau. Même le fait de toucher les mains et les pieds de Jésus n’y changea rien.
Mais heureusement, les jeunes communautés ne sont pas restées sous cette contrainte ; comment sont-elles passées du doute à la foi ? Elles n’ont pu y arriver ni par leurs propres moyens ni par le toucher, le contact physique. Ce qui eut lieu, ce fut un processus lent. Dans leur cœur, elles se réjouissaient déjà, mais leur raison ne leur permettait pas encore tout à fait de croire.
Le fait qu’il partagea le repas avec eux et leur expliqua les Écritures a dû les aider à se débarrasser du doute et à trouver la foi solide. Nous aussi, nous devrions nous sentir concernés par le fait que Jésus ôte le doute en interprétant les Écritures et en prenant le repas avec eux et donne ainsi la confiance, la foi. Nous n’y arriverons pas par nos propres moyens !
Mais ne pouvons-nous pas, en écoutant une prédication, en chantant un choral ou en participant à la Sainte-Cène, sentir nos doutes disparaître et la foi prendre leur place ? Nos doutes sont justifiés, voire nécessaires, car nos doutes nous préservent de la stagnation et permettent de poser des questions sérieuses à notre foi. Luther, souvent en proie à des doutes, donna des conseils comment combattre ces doutes, ces tentations comme il les appelait aussi, en faisant confiance à Jésus Christ et en s’en tenant à la justice reçue de sa part.
Il n’y a pas de certitudes ni de vérités absolues, il ne nous reste que la foi que Dieu nous donne, mais qu’il ne nous impose pas. Cependant, avec Pâques, il devient évident que Dieu ne veut pas nous laisser dans le doute éternel parce qu’il a vaincu, surmonté la mort. Des doutes éventuels ne doivent pas nous empêcher de ressentir un tant soit peu la joie de la victoire sur la mort, lors de la fête de Pâques.
C’est dans cet esprit que je vous souhaite une fête de Pâques bénie.