Onda / 16 décembre 2020

IL EST URGENT DE PRENDRE
LA PAROLE... ET DE L'ÉCOUTER

Yalda Younes, artiste, danseuse, chorégraphe et yoga thérapeute, a été invitée le 20 novembre dernier à une de nos rencontres en ligne : la Rida internationale. Nous lui avions demandé de nous parler de sa vie, de ses convictions, de ses obsessions, de son travail. Elle a partagé avec nous ses pensées, que vous retrouverez dans le texte ci-dessous, texte qui dit beaucoup de nous, de l’année écoulée, de nos situations multiples et inégalitaires. Nous avions envie de vous le partager.


« No business on a dead planet... I can’t breathe... Me too... Leave no one behind... How many suicides do you still need?... System change not climate change... We have space... They tried to kill us, they didn’t know we were seeds... No justice no peace… ». Voici quelques slogans qui sont restés avec moi cette année, entendus dans différents mouvements aux 4 coins du monde. J’ai l’impression que nous vivons dans une période condensée du temps où le monde, exposé à lui-même à travers la vie numérique, est en train de déverser à la fois ce qu’il a de plus laid et de plus gracieux.     
      
Sur le plan personnel, ces 13 derniers mois ont été une succession de crises et de pertes de repères. Et même si j’ai la chance d’avoir retrouvé aujourd’hui un semblant de sécurité, je continue de remuer dans la tête l’intensité de ces expériences récentes, comme pour tenter d’y voir plus clair et d’en assimiler autre chose que le deuil d’un chez-soi.
Tout bousculement d’un ordre préétabli remet au premier plan ce qui, auparavant, faisait partie d’un paysage ordinaire. Alors je ressens le besoin de ralentir le temps pour méditer sur cette période transitoire, avant qu’un nouvel ordre se rétablisse et rende l’essentiel invisible à nouveau.   
       
Le 17 octobre 2019, la révolution libanaise débute par l’occupation de l’espace public, rendant visible nos différents corps sociaux, auparavant fragmentés par l’ultra-privatisation, le clientélisme et le confessionnalisme. La rue rassemble un peuple dans une joie inouïe, et une abondante force chorégraphique. Un élan populaire jamais vécu auparavant et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi seule. Le paradoxe de la foule.     
          
Quelques semaines plus tard, les scénarios dramatiques devant les banques refusant à leurs clients leur propre argent, ainsi que les licenciements de masse, détournent l’attention des médias internationaux des images du jet-setter libanais, pour enfin laisser voir la misère absolue des plus vulnérables, les frigos vides, les sans-abris et les histoires de suicide pour petite note d’épicerie. En parallèle, l’hyper-inflation se creuse avec l'effondrement d’une économie et d’un système bancaire qui, comme un château de sable, étaient construits sur un leurre. Mais comment vivait-on avant ? Comment cela a-t-il pu durer pendant toutes ces années ? Qu’aurions nous fait différemment, si nous étions mieux informés ? Qui est responsable, et qui ne l’est pas ? Tous les paramètres se brouillent. Nous avons tout perdu, même le fait de pouvoir nous lamenter sur notre sort.           
       
La Covid arrive alors avec ce danger global qui, l’espace d’un court temps de répit, me libère de mes angoisses quotidiennes, dont celle de transformer mon appart en stock de produits aux prix en hausse libre. Malgré la tragédie à laquelle j’assistais à travers mon écran et la terreur de perdre mes proches, il y avait quelque chose de fantastique : le futur était ajourné... quel soulagement ! Cette idée m'obsédait, me rendait jubilante, je sentais littéralement le poids de ce futur quitter ma poitrine. Je me suis répété que je ne voudrais jamais oublier cette sensation. Sauf que… Très vite, la réalité nous rattrape, et ce virus qui semblait unir le monde en ne faisant aucune distinction, était en fait un miroir grossissant qui reflétait nos dysfonctionnements. La pandémie a mis en lumière le déséquilibre global dans l’extraction, l’exploitation et la répartition des ressources vitales, l’inégalité des opportunités, et le privilège dont bénéficient certains au dépend de l’injustice que subissent d’autres. Au premier plan, elle a laissé voir les personnes âgées ou immunodéprimées, les travailleurs dits essentiels et de première ligne, et toutes celles et ceux qui n’ont pas le luxe de pouvoir rester chez soi. Parmi ceux-ci, nous notons une grande majorité de personnes de couleur ou minorités culturelles, travaillant au service du blanc privilégié.  
             
C’est dans ce contexte global que le 25 mai 2020, les écrans du monde entier ont témoigné du meurtre brutal de George Floyd aux États-Unis. La disparité raciale de la violence policière, qui auparavant remuait principalement la communauté locale, a cette fois enragé la planète entière. La question du racisme systémique, en lien avec le colonialisme, commence enfin à être adressée sérieusement et profondément dans tous les pays et toutes les disciplines, avec quelques centaines d’années de retard.          
 
Retour à Beyrouth. Le 4 août 2020, mon appartement explose et avec, ceux de mes amis, ma famille, mes collègues, mes voisins... la ville entière a explosé. Une ville éventrée, ensanglantée. Un incident de l’histoire beaucoup trop traumatique, et dont il est beaucoup trop tôt pour en parler sensiblement. Mais je souhaite partager avec vous la force symbolique d’une image. L’image d’une ville entière qui a perdu toutes ses portes et toutes ses fenêtres, et dont les survivants n’avaient plus le choix que de se regarder en face, sans intermédiaire et sans protection aucune.   
               
Alors voilà, mon petit déroulé d’une année de crises, une année où j’ai tant perdu mais peut-être gagné à mieux voir, une année qui n’a pas arrêté de tout remettre en perspective, et dans laquelle je patauge encore.   
                   
La place de ma pratique artistique dans tout cela ? Je n’ai pas encore de réponse claire. Là je suis occupée à me reconstruire une vie, qui tente de ne pas fermer les yeux sur ce à quoi ces expériences récentes m’ont éclairée, quitte à faire de nouvelles erreurs. Je cherche à me rétablir une viabilité économique sans course contre le temps, obsession du calendrier, et pression maladive de productivité. Je réfléchis à comment mieux organiser mon temps et mon espace mental pour concilier ma pratique artistique, qui me remplit de vie, avec mon travail de yoga thérapeutique, qui améliore la qualité de celle des autres. Le tout sans me sentir submergée.       
              
2020 est pour moi un ôde à la respiration, à l’incertitude et à la décroissance. C’est une année qui appelle tout un chacun à continuellement rafraîchir son regard au cours de l’histoire récente, et à aborder les questions essentielles, dont quelques-unes que j’aimerais partager avec les programmateurs et artistes présents aujourd’hui :      
 
Comment regarder l’autre au-delà de notre propre langage et savoir limités, au-delà des présomptions et projections, du privilège ou de la peur ?                  
 
Quelle est notre responsabilité, individuellement comme collectivement, dans la lutte pour l’abolition de la discrimination culturelle et la garantie d’une vraie égalité au niveau de la représentation, l’écoute et les opportunités accordées aux voix sous-représentées, au lieu de se contenter du tokénisme et du cochage de cases ?
                   
Comment sortir d’une vision anglo-eurocentrique de la contemporanéité, pour savoir reconnaître et encourager l’innovation dans les créations qui expérimentent avec les formes dites « traditionnelles », au lieu de les enfermer dans des catégories ethniques qui freinent le progrès ?   
                   
Quelle est notre responsabilité commune vis-à-vis de notre audience, non seulement dans le choix des œuvres que nous présentons, mais aussi dans la manière dont nous communiquons là-dessus ? Comment faire pour décoloniser, désexotiser et désorientaliser le langage ? 
                      
Comment remplacer l’ordre hiérarchique par la construction de communautés horizontales, et offrir plus de place, de temps et d’attention au dialogue, à la réflexion et à la prise de risque, privilégiant le processus plutôt que le rendu final?       
           
Comment pourrions-nous répondre à l’urgence climatique et contribuer à la réduction globale des dégâts environnementaux au niveau de la production artistique, tout en veillant à ce que les compromis ne se fassent pas uniquement au dépend de l’échange international, puisque justice sociale et justice environnementale sont indéniablement liées ?

Et enfin, comment s’adapter à un monde qui change à une vitesse croissante et, que cela nous plaise ou pas, devient de plus en plus dépendant de la technologie ? N’est-il pas d’autant plus urgent que nous restions informés de toutes les avancées technologiques pour ne pas les laisser exclusivement dans les mains dangereuses des ignorants qui nous gouvernent ?

Je termine avec les mots de Buckminster Fuller : « Il est désormais possible de prendre soin de tous les habitants de la Terre avec une meilleure qualité de vie que jamais. Ce n’est plus une question de toi ou moi. L'égoïsme n’est pas nécessaire. La guerre est obsolète. Il s’agit de convertir les hautes technologies d’une ‘économie de mort’ (weaponry) à une ‘économie de vie’ (livingry). » (Critical Path, 1981)

ONDA REPÉRAGES

À VOIR PROCHAINEMENT

Retrouvez ici quelques propositions - spectacles, festivals, rencontres - issues du repérage de l’Onda et à découvrir, nous l'espérons, prochainement.

SOUTIEN À LA SCÈNE ARTISTIQUE LIBANAISE


Face à la tragédie qui s’est abattue sur Beyrouth en août dernier, l’Onda soutient activement sur les saisons 2020/2021 et 2021/2022, la scène artistique libanaise. Si vous, programmateurs ou programmatrices, désirez inviter des artistes, faire appel à des curateurs et/ou curatrices travaillant au Liban, vous impliquer dans un projet tourné vers le Liban, n'hésitez pas à venir vers nous. Nous pourrons discuter, proposer, faire connaître, découvrir et nous soutiendrons financièrement les actions engagées.

SPECTACLE

TOURNIQUET

LE GRAND SBAM
EN DÉC À OULLINS


© Oofzos

Tourniquet est un duo intime de théâtre musical écrit, composé et interprété par Marie Nachury et Antoine Arnera du collectif Le Grand Sbam. Suite...

SPECTACLE

TIENS TA GARDE

COLLECTIF MARTHE
EN DÉC À PARIS


© Jean-Louis Fernandez

En s’appuyant sur la pensée développée par la philosophe Elsa Dorlin dans son ouvrage Se Défendre, une philosophie de la violence, ... Suite...

SPECTACLE

ZOO – PETIT ÉLOGE DE L'IMPERFECTION

JEAN LE PELTIER / IVES & PONY
EN FÉV À NANTES, HÉDÉ


© DR

3 individus et 1 robot qui n’auraient pas dû se rencontrer, se croisent à la montagne aux abords d’un lac. Suite...

SPECTACLE

SUSPENDED BETWEEN THE SECOND AND THIRD KISS

PETRA SERHAL



© Petra Serhal

Suspended Between the Second and the Third Kiss est une pièce chorégraphique de l’artiste libanaise Petra Serhal qui traite de l'expérience corporelle individuelle et collective, de l'intimité et du contrôle. Suite...

SPECTACLE

L'ÉLOGE DES ARAIGNÉES

SIMON DELATTRE / RODÉO THÉÂTRE
EN JANV À CORBEIL-ESSONNES, LA NORVILLE, MORANGIS, ÉTAMPES


© Matthieu Edet

Comédien, marionnettiste et metteur en scène, Simon Delattre se distingue par l’humanité qu’il met dans ses projets. Suite...

CHARTE D'AIDE
À LA DIFFUSION

La Charte d’aide à la diffusion réunit l’Onda et les agences régionales, l'Agence Culturelle Grand Est, l'OARA Nouvelle-Aquitaine, Occitanie en scène, l’ODIA Normandie et Spectacle vivant en Bretagne, regroupées dans La Collaborative, afin de mutualiser leurs expertises, réseaux, capacités d’accompagnement et moyens financiers d’aide à la diffusion autour de spectacles sélectionnés collectivement.
Découvrez ICI les spectacles aidés financièrement par le dispositif de la Charte d'aide à la diffusion jusqu’en 2023 ainsi que son fonctionnement.

CENTRE-VAL DE LOIRE : SOUTIEN À LA DIFFUSION DES COMPAGNIES

La Convention pour le soutien à la diffusion des compagnies de la région Centre-Val de Loire, que l’Onda a construite avec le réseau de lieux de diffusion Scèn’O Centre et la Région Centre-Val de Loire, permet à des spectacles sélectionnés collectivement de rencontrer les publics des autres régions. Découvrez ICI les spectacles qui bénéficient de ce soutien à la diffusion jusqu’en 2022 ainsi que son fonctionnement.

MONTAGE DE TOURNÉES INTERNATIONALES

L’Onda propose des soutiens aux tournées en France d’artistes internationaux afin de renforcer la collaboration entre les programmateurs·trices français·es et permettre à ces artistes de rester un temps plus long sur le territoire. Retrouvez ICI les spectacles étrangers présentés durant les ateliers de montage de tournées internationales organisés par l’Onda, dont les 6 derniers ont été proposés par nos partenaires lors de la Rida internationale en novembre dernier. Les tournées de ces spectacles seront soutenues financièrement jusqu’en 2022.

Retrouvez-nous sur :

 

SPECTACLE

DER LAUF

LE CIRQUE DU BOUT DU MONDE
EN JANV À BRUXELLES


© Guy Waerenburch

Bienvenue dans le cabinet des curiosités du Cirque du bout du monde où rien n’est tout à fait ce qu’il paraît. Suite...

SPECTACLE

DUO(S) MIROIR

ISABELLE HERVOUËT / SKAPPA ! & ASSOCIÉS
EN AVRIL À VITRY-SUR-SEINE


© Olive Guillemain

Isabelle Hervouët a conçu ce projet de double duo adulte-enfant, entre théâtre, danse et arts visuels, à la suite des nombreux séjours qu’elle a effectués en Chine, en Égypte et au Liban. Suite...

SPECTACLE

TEMPS DE BALEINE

JONAS CHÉREAU
EN DÉC À PARIS


© Tamara Seilman

L’univers de Jonas Chéreau s’ancre dans la relation entre les mots et la danse. Suite...

SPECTACLE

22 ACTIONS FAIRE POÈME

LA TIERCE
EN JANV À BORDEAUX


© DR

Partant du postulat que les poèmes ne « cherchent pas » une chose mais sont (et c’est tout), les trois chorégraphes de La Tierce envisagent cette pièce comme une série d’actions juxtaposées les unes aux autres qui, loin d’être « à comprendre », viennent faire poème. Suite...

SPECTACLE

RE:INCARNATION

QUDUS ONIKEKU
EN JANV À PARIS, VITRY, SAINT-ÉTIENNE DU ROUVRAY, GARGES-LÈS-GONESSES, SAINT-OUEN


© DR

Cette pièce urbaine pour dix danseurs et un musicien est le résultat de cinq années de recherche du chorégraphe nigérian Qudus Onikeku autour de la mémoire corporelle. Suite...

SPECTACLE

UN CERF AU SABOT D'ARGENT

NATHALIE BALDO / CIE LA PLUIE QUI TOMBE
EN DÉC À LA COURNEUVE, JANV À NOISY-LE-SEC


© DR

Libre adaptation d’un conte russe, Un cerf au sabot d'argent évoque la neige, la solitude, les profondeurs de la forêt l’hiver et la vie animale. Suite...

RESHAPE




Les prototypes issus du travail de réflexion des Reshapeurs et Reshapeuses, dont nous vous parlons depuis plusieurs mois, vont être dévoilés en ligne dans les jours à venir. Ces propositions concrètes, élaborées à partir de 5 thématiques et qui offrent des pistes de solution afin de transformer le secteur culturel, seront d’abord consultables sur le site internet de RESHAPE puis publiées sous forme d’un livre courant janvier 2021. Les partenaires, facilitatrices et facilitateurs, consultants et consultantes ainsi que les Reshapeurs et Reshapeuses eux-mêmes dissémineront ces textes et réflexions à travers leurs réseaux, pays, outils d’action. L’Onda présentera la méthode RESHAPE et les propositions des quarante professionnelles et professionnels européen·ne·s et sud-méditerranéen·ne·s qui s’impliquent dans ce projet novateur depuis 2018 durant, entre autres, les Rida marionnettes et enfance et jeunesse de mars et avril 2021.
 
Le projet de coopération RESHAPE est piloté par l’Onda et cofinancé par le programme Europe créative de l’Union européenne.

RENCONTRES DE L'ONDA


Septembre 2020 – juillet 2021
Cycle thématique – Le handicap
En partenariat avec le British Council
Royaume-Uni et France

Septembre 2020 – juillet 2021
Parcours Croatie / Slovénie

Janvier – septembre 2021
Parcours Liban / Palestine

11-12 janvier
Rida Le Mans
La Fonderie / Le Mans fait son cirque / Les Quinconces - L'espal / Théâtre de l'Éphémère

26-27 janvier
Vizàvis Le Havre

Festival Pharenheit - Le Phare / La Collaborative / ODIA Normandie

11 mars
Rida marionnettes
Festival MARTO ! / Malakoff scène nationale / Théâtre de Châtillon / Théâtre Jean Arp, Clamart
Avec Reshape

29-30 mars
Rida danse

Festival À Corps, TAP, Poitiers / OARA Nouvelle-Aquitaine

1-2-3 avril
Rida Morlaix
L'Entresort, Centre national pour la création adaptée, Morlaix / Spectacle vivant en Bretagne

En savoir plus

 

Onda – Office national de diffusion artistique / 13 bis, rue Henry Monnier
75009 Paris, France / tél. 33 (0)1 42 80 28 22 / info@onda.fr / www.onda.fr