Après un quart d’heure de « calèche » pour traverser le tann (étendue salée inondée durant « l’hivernage » (la saison des pluies), nous rejoignons le terrain au centre du vieux village de Ndangane.  Ce samedi, comme presque chaque semaine, les Sénégalais se livrent à des compétitions de lutte très populaires. Le sport national du pays. Le « stade » est un terrain vague sablonneux d’une surface à peu près équivalente à celle d’un demi-terrain de football, cerné de quatre murs, fendus d’une mince entrée. Arrivés à 19h15, nous choisissons un billet « places assises », qui nous donne droit à une chaise en plastique dans un espace délimité par des filets de pêche. Sur une estrade, un « espace VIP » proposant les mêmes chaises, est cependant réservé aux notables locaux. À cette heure il y a encore peu de monde, mais déjà quelques lutteurs « s’échauffent ». Un échauffement apparemment plus spirituel que physique au son et au rythme des tam-tams et de rengaines chantées ininterrompues, à la fois enivrantes, excitantes, entêtantes, et qui vont même finir par devenir difficilement supportables (pour nous !). Les lutteurs, des armoires à glace dépassant largement le quintal, accompagnés de leur coach tournent autour du terrain délimité par une dizaine de sacs de sable. Certains arrosent les quatre coins du stade avec de l’eau, d’autres passent plusieurs fois au travers d’un cerceau, les uns trainent une bandelette, pendant que d’autres avec un gri-gri entre les dents font des pas de danse. D’autres encore jettent du sable selon un rituel manifestement immuable, le tout dans une parfaite ignorance mutuelle. Chacun tentant à sa manière de s’attirer la faveur des esprits, de Dieu ou d’Allah, selon sa confession. Ces rituels vont durer une heure trente ! Pas de vestiaire, pas de douche et même pas de toilettes pour les combattants dont certains vont se soulager derrière la rangée de spectateurs. Vers 21 h, après une annonce en sénégalais évidemment incompréhensible pour nous, quatre arbitres tout de blanc vêtus investissent « l’arène ». Ce soir seize lutteurs vont s’affronter par élimination directe, jusqu’à la finale. À cette heure, le stade s’est rempli de sans doute plus d’un millier de personnes. Quatre-vingt-quinze pour cent d’hommes et de « belles plantes locales » dans leurs habits d’apparat. Deux combats sont simultanés. Le premier lutteur retourné sur le dos ou dont la tête touche le sol a perdu. C’est du moins ce que nous avons compris. Une règle simple, mais une stratégie complexe, faite d’observation, de provocation, de vivacité, de technique et bien sûr de force. Le public, serein et attentif malgré le rythme soutenu des tam-tams, se manifeste brièvement à chaque victoire, sans débordement ni chauvinisme. Les combats durent plusieurs longues minutes ou seulement quelques secondes. À l’approche de la finale, les portes du stade s’ouvrent gratuitement à tous. Une multitude d’enfants s’y engouffre... Le vainqueur de la soirée, un colosse ébène impressionnant, manifeste sa joie par quelques facéties, avant que le public quitte le stade dans le calme d’une nuit noire avec la nonchalance qui caractérise ce peuple. « Vous avez les montres, nous avons le temps », nous disent-ils philosophes ! À la sortie deux femmes tentent de gagner quelques centimes en proposant des beignets.  Le maigre revenu de la journée…

Un soir de sport ordinaire à Ndangane, un petit village du Sénégal…

 

Michel DORNE