« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images »
Jean Cocteau
Puisque les plus belles femmes du monde se sentent laides voire se détestent quand leur perfection plastique nous efface, l’amour de soi n’a sans doute pas grand-chose à voir avec la topographie corporelle. Malgré tout, nous aimerions bien y croire. Cela peut sembler plus rapide que de se mettre au travail de notre éclat intérieur.
S’aimer rend la vie plus confortable, plus intéressante. Mais comment faire quand l’image que renvoie le miroir dessine une forme, des saillances, des absences, une couleur dont nous ne voulons pas ? De notre côté nous sentons nos désirs, notre potentiel, nos frissons et de celui du miroir, nous fantasmons l'œil d’autrui : fixe, limité, scrutateur, impitoyable. Un reflet de nous-mêmes qui blesse parfois comme une trahison.
Notre corps nous trahit-il ou sommes-nous les propres traitres de notre identité profonde ? Chaque fois que nous nous éloignons de ce qui nous rend unique nous devenons notre ennemi. Notre corps nous torture jusque dans notre image.
En fait, notre image est une élaboration. Selon la psychanalyse, l’image inconsciente de notre corps –le corps réel- se construit dès l’enfance au travers de différentes sensations :
- les sensations extéroceptives qui proviennent d'excitations issues du monde extérieur (lumière, sons...) ;
- les sensations intéroceptives ou viscérales qui résultent d'excitations provenant de l'intérieur du corps ;
- les sensations proprioceptives qui nous viennent d'excitations provenant des mouvements, des postures, du tonus corporel...
Cette image s’enrichit ensuite de la représentation mentale des évènements vécus. Les thérapeutes demandent littéralement de dessiner cette « image mentale du corps » : dessinez-moi votre mal au dos ( ?!). Vous comprendrez pendant cet exercice combien la représentation de ce que nous ressentons par rapport à notre corps est une construction subjective c'est-à-dire qui dépend des personnes, du sujet.
Cette image s’accompagne toujours d’une émotion : agréable, désagréable, douloureuse, effrayante…. et d’une référence à autrui (présence, absence, intention..) qui se synthétisent dans la mémoire de nos expériences corporelles. C'est pourquoi nous ne portons pas tous le même regard sur notre corps et sur celui d'autrui.
Selon la psychanalyste Françoise Dolto, ce qui explique l’importance que nous accordons au miroir serait le désenchantement à l’âge de trois ans de s’apercevoir qu’ « il existe un écart irréductible entre son image dans le miroir et la réalité de sa personne »*. De cette confrontation naîtrait en nous le désir de tromper à notre tour le monde avec notre image et donc de la surinvestir.
Faire la paix avec son corps et finir par s’aimer malgré sa lâche décrépitude pourrait être revenir à soi (privéligier ce qui fait du bien), à ses sensations (fuir ce qui nous fait mal) et prendre du recul par rapport au miroir (ce n’est qu’une de mes multiples dimensions), au regard d’autrui (quel est son jeu ?). Certes, le travail peut être long mais c'est un investissement stratégique. Notre corps est et restera jusqu’à la fin notre plus fidèle compagnon.
« L’homme dépend de l’image de lui-même qui se forme dans l’âme d’autrui même si c’est l’âme d’un crétin. »
Witold Gombrowicz
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Mon corps et ses images, J.D Nasio